CHAPITRE V

Rhiannon vint dans sa cellule. Elle posa sa lampe au sol, puis, s'agenouillant à côté de lui, elle lui écarta les cheveux pour examiner sa blessure.

Il sursauta et recula.

Croyait-elle qu'il n'était pas au courant ?

— Mon seigneur...

Il l'interrompit.

— Où est mon lir ? Qu'en ont-ils fait ?

— La panthère est emprisonnée ailleurs. Elle est vivante.

— Vivante ?

— Bien sûr. Ils vous veulent intact pour le sacrifice. Ils la tueront aussi, le moment venu.

Il montra les dents.

— Je ne peux pas la joindre !

— C'est peut-être la drogue. Le second pichet de vin... Il était drogué, pour endormir votre magie cheysulie.

La lumière jouait sur son visage, soulignant sa peau blanche et ses yeux aux longs cils.

— Par les dieux, femelle ! Tu m'as bien eu ! Tu m'as attiré dans les rets que Jarek avait préparés pour moi...

— Non, je le jure ! Je ne savais pas...

Des larmes brillèrent dans les yeux de la femme.

Le rire moqueur de Brennan la fit sursauter.

— Des larmes, maintenant ! Je ne succomberai pas une seconde fois à ta fausse innocence ! Va, retourne à ton homme, qui est si bon, si généreux...

— Ecoutez-moi ! cria-t-elle. Dois-je jurer par vos dieux, par le Mujhar ? Par cela ? ( Elle montra la bague qu'elle portait en pendentif. ) Je suis venue ici pour vous aider !

Le rire de Brennan ressembla à un aboiement.

— M'aider ? Vraiment ? Alors, libère-moi, Rhiannon. Prouve que tu es innocente.

Quel mensonge va-t-elle inventer maintenant ?

— Jarek a la clé de vos fers.

— Je croyais que tu couchais avec lui ? Tu ne sais pas comment obtenir de lui cette clé ? Ou la lui voler ?

— Jarek... est mon premier amant, dit-elle en rougissant. Cela ne fait qu'un mois. Je ne suis pas très experte à ces jeux-là.

— Si tu n'essaies pas, Jarek me fera assassiner. ( Il vit le menton de la jeune femme trembler convulsivement. ) Veux-tu garder ce souvenir, en même temps que la bague que je t'ai donnée ?

La main de Rhiannon se referma sur le bijou.

— Si on m'attrape... Il y aura un troisième sacrifice...

Jarek en était capable. Brennan ne tenta pas de prétendre l'inverse. Il éprouva une fois de plus la solidité de ses fers. Ses poignets se remirent à saigner. Il cessa de regarder la jeune femme. La supplier ne servirait à rien, à part lui faire perdre le peu de dignité qu'il lui restait.

— Mon seigneur, Jarek a dit que vous aviez peur des endroits comme celui-ci.

— C'est vrai. Quand j'étais enfant, j'ai... été enfermé dans un lieu semblable, petit, sombre... ( Il eut moins de mal à avouer sa faiblesse qu'il n'aurait cru. Sans doute, la peur parlait-elle à sa place. ) J'avais oublié, grâce aux dieux... jusqu'à maintenant.

— Mon seigneur !

— Rhiannon, je t'en supplie ! Libère-moi !

Il lui importait peu qu'elle soit témoin de sa détresse, tant sa peur était grande.

Les doigts de la jeune femme effleurèrent son bras.

— Je ferai tout ce que je pourrai.

Elle le laissa seul dans les ténèbres, où personne ne verrait ses larmes.

Rhiannon ne revint pas. Aucun miracle ne se produisit. Il ne put même pas trouver l'oubli dans le sommeil ou l'inconscience. Il savait seulement que le temps passait à toute allure, et que dans moins d'un jour il serait mort.

Sois maudit, Karyon, pour avoir engendré Carollan avec une servante homanane !

Pourtant, sans Karyon, il n'y aurait eu ni Niall, ni Brennan, mais un héritier homanan.

Il n'y aurait pas eu de sacrifice, non plus.

Sleeta, donne-moi la force de mourir en guerrier

Un bruit de pas. Jarek entra et s'agenouilla à côté de lui, une clé dans la main.

— Mon seigneur, le moment est venu. Les dieux sont assoiffés, ce soir !

— Ne me touchez pas !

Jarek ouvrit les menottes et les fers.

— Vous voulez rester ici ? N'oubliez pas que nous avons votre lir. Si vous essayez de fuir, la bête mourra. Notre drogue était efficace, n'est-ce pas ? Un herboriste connaissant les Cheysulis nous a conseillé un mélange d'ingrédients mortels pour la plupart des hommes, mais ayant seulement un effet temporaire, bien que puissant, sur les vôtres. Un des éléments doit vous être familier : la racine appelée tetsu.

— Le tetsu est un poison mortel !

— Quelle importance ? demanda Jarek en riant. Non, c'est faux. Il est dangereux, mais pas mortel si les doses sont correctes.

— Et si je choisis de rester ici, que ferez-vous ?

— Je ferai murer la porte ; vous mourrez fou. Les dieux seraient peut-être déçus de perdre un sacrifice princier... Mais le Mujhar a aussi des filles...

— Non ! hurla Brennan. Pas mes rujhollas !

— Dans ce cas, suivez-moi, mon seigneur.

Il avait une meilleure chance de fuir en étant hors de la cellule que confiné dedans. Il se leva.

Jarek se poussa et fit signe à Brennan de sortir le premier.

Il sentit l'air nocturne sur son visage. Plus de chaînes ; il était libre...

Avant qu'il ait pu faire quoi que ce soit, des mains le saisirent, le poussèrent vers l'autel. La drogue de Jarek ralentissait ses mouvements, lui ôtait sa force.

L'autel de pierre noire était tachée du sang des Cheysulis assassinés.

Ils le soulevèrent malgré ses efforts pour résister. Ils le forcèrent à s'allonger sur la pierre.

— Justice sera faite, dit Jarek.

— Vous êtes tous fous !

— La lignée de Karyon reprendra sa place...

Brennan se débattit ; les hommes le maintinrent sur l'autel.

Même s'ils réussissent... Il y a mon rujho. Hart peut devenir Mujhar...

La Prophétie ne mourrait pas avec lui.

— La mort d'Elek sera vengée, continua Jarek de sa voix mielleuse, comme s'il avait répété le rituel d'innombrables fois.

Souriant largement, Jarek donna l'ordre d'enlever son or à Brennan.

Les hommes obéirent.

— Amenez la panthère.

Sleeta... Sleeta...

— Au nom de tous les dieux cheysulis, cracha Brennan, je te maudis, Jarek, fils d'Elek ! Je te condamne à la mort d'un homme sans lir, entre les griffes et les mâchoires d'une bête...

Jarek se pencha sur lui, riant toujours. Il tenait un couteau à la main ; il le posa sur le lobe de l'oreille de Brennan.

— Donnez-moi votre boucle d'oreille, mon seigneur. Vous pouvez maudire à loisir Jarek, fils d'Elek, dit-il. Vos paroles ne me feront aucun mal, à moi. J'agis au nom d'Asar-Suti, qui est plus puissant que vos minables dieux cheysulis !

— Ihlini ! cria Brennan.

— Maintenant ! rugit Jarek.

Maintenant ! dit Sleeta, tandis que le lien-lir redevenait actif d'un seul coup.

Au moment où le cri d'une panthère traquant sa proie retentissait dans l'obscurité, Brennan se libéra des mains qui le retenaient. Il remarqua à peine que Jarek, d'un geste, lui coupait le lobe de l'oreille. Il n'était plus en état de reconnaître la douleur, seulement la colère ; une rage primitive qui le submergea et le fit basculer de l'autre côté de la barrière.

Il descendit...

Il ne connaissait plus son propre nom, ni celui de sa compagne. Il savait seulement qu'elle était là, lui insufflant la force dont il avait besoin.

Il appela à lui la haine, la colère, la peur. Il les serra contre son sein.

Maintenant !

Devant un Ihlini, les dons cheysulis étaient presque réduits à néant, il le savait. Pourtant, étrangement, il ne s'était jamais senti si fort.

Jarek ne riait plus.

— Tuez-le ! cria-t-il.

... Maintenant..., murmura mentalement Brennan. Il puisa l'énergie de Sleeta à travers le lien, et mobilisa le terrible héritage de sa race.

Sous la forme d'une panthère, il déchiqueta la gorge de Jarek.